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JO de Paris 2024 : Kariman Abuljadayel, symbole d’émancipation pour les femmes saoudiennes, bien décidée à marquer l’histoire des Jeux

08 août 2024 | Actualités

Ecrit par Simon Bardet retrouvez l’article sur – JO de Paris 2024 : Kariman Abuljadayel, symbole d’émancipation pour les femmes saoudiennes, bien décidée à marquer l’histoire des Jeux (francetvinfo.fr)

Première Saoudienne à concourir sur 100 m aux Jeux, Kariman Abuljadayel est une figure de l’émancipation des femmes dans le royaume. Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

L’image avait fait le tour du monde. L’après-midi du 12 août 2016, Kariman Abuljadayel, vêtue d’un hijab noir qui trône désormais au musée olympique de Lausanne, terminait son 100 m aux Jeux olympiques de Rio. Le chrono était modeste (14 »61), la place (7e du tour préliminaire) insuffisante pour aller plus loin dans la compétition, mais l’important était ailleurs pour celle qui devenait à cette occasion la première Saoudienne de l’histoire à participer à un sprint olympique.

« J’ai toujours adoré les Jeux, assure-t-elle. Depuis toujours, je les regarde à la télévision. Mais quand j’étais petite, je ne pensais pas y participer, puisque nous n’étions pas autorisées à le faire. » A Paris, elle sera en tribunes pour encourager la délégation saoudienne.

Ce n’est qu’en 2012, lors des JO de Londres, que les femmes saoudiennes ont obtenu le droit de faire partie de cette fête mondiale, après l’insistance du Comité international olympique (CIO) auprès du royaume. « Je me souviens très bien de cette nouvelle, se remémore Kariman, parce que ma maman m’a demandé de venir dans le salon, l’information était à la télévision. Elle m’a dit : ‘J’espère que tu seras la prochaine.’ Je pouvais enfin participer aux Jeux olympiques et réaliser un rêve. » La judoka Wodjan Shaherkani et l’athlète Sarah Attar ont ouvert la voie, Kariman Abuljadayel a suivi le chemin quatre ans plus tard, sur la ligne droite du stade olympique brésilien.

Passion familiale et entraînement à domicile

La destinée olympique de la jeune trentenaire n’a pas été une évidence, dans un pays où « le sport n’était pas au programme de l’école pour filles », à une époque où elle luttait contre l’obésité, étant une enfant de 6-7 ans « qui adorait manger » et pesait plus de 70 kg. « Ma mère – très attachée aux bienfaits du sport et aux valeurs qu’il véhicule – a vu que j’aimais beaucoup ça et m’a donc encouragée à en faire plus souvent, se souvient-elle. Depuis mes 6 ans, j’en fais beaucoup car j’adore ça, c’est ce qui m’a permis de mincir année après année. »

Dans cette famille sportive, où le père, propriétaire de chevaux, était une figure du monde hippique, il a fallu innover pour pratiquer. « Je devais faire du sport à la maison avec mes frères et sœurs, avec mes cousins quand ils étaient là, ou alors quand nous étions en voyage à l’étranger. Il s’agissait de mes seules options à l’époque », explique Kariman, qui a pu trouver en ses sœurs Nabila (golfeuse) et Salwa (escrimeuse) de parfaites partenaires de jeu. Et quand la chaleur était étouffante dehors, il n’y avait pas d’excuse qui tienne : « Je courais beaucoup à l’intérieur de la maison. Ma maman m’a laissé faire ça librement, et cette passion s’est développée. »

Pas de ruée vers l’or, mais un eldorado

Les prémices d’une carrière sportive, qui s’est accélérée avec le départ de Kariman Abuljadayel vers les Etats-Unis. Direction Boston et la Northeastern University pour des études d’architecture. « J’ai passé les tests et j’ai intégré l’équipe d’athlétisme. Le voyage a réellement commencé ici, c’était le début du chemin vers ce rêve olympique », assure-t-elle, car, quelques mois auparavant, le Comité olympique saoudien commençait à autoriser les femmes à concourir aux Jeux.

Quatre ans d’entraînement plus tard, l’eldorado a succédé au rêve américain de Kariman Abuljadayel, presque 8 000 km plus au sud. « J’ai beaucoup d’excellents souvenirs à Rio. La cérémonie d’ouverture au Maracana était incroyable, j’avais l’impression qu’il y avait des millions de spectateurs au stade, s’enthousiasme-t-elle. Quand l’Arabie saoudite a été appelée, que j’ai vu mon image sur les écrans géants, c’était une sensation indescriptible. J’étais enfin une olympienne ! » Nerveuse avant le départ de son 100 m, très heureuse à l’arrivée un peu plus de 14 secondes plus tard, la sprinteuse saoudienne a profité de ce moment d’histoire, entourée des siens.

Kariman Abuljadayel s’est laissée prendre aux Jeux, pour entrer dans une autre dimension. « Cette course a changé ma vie, reconnaît-elle. Être une olympienne est une responsabilité. Je suis devenue une ambassadrice pour mon pays, pour le sport. Je suis la première sprinteuse saoudienne à participer aux Jeux olympiques. Il n’y avait pas de femmes avant moi, donc je dois paver la route moi-même pour les suivantes. »

Une fois l’exemple donné et l’image gravée dans les mémoires de tout un pays, Kariman Abuljadayel ne s’arrête pas là. Et elle profite du changement de politique de l’Arabie saoudite concernant les femmes, depuis que Mohammed Ben Salmane – notamment accusé d’avoir commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi – est devenu prince héritier en 2017. Autorisées à conduire et à se rendre au stade, encouragées à travailler, les femmes sont aussi plus libres de pratiquer un sport, dans l’espoir de faire rayonner le royaume à l’international.

« Aujourd’hui, il y a énormément d’opportunités pour les femmes qui veulent pratiquer un sport. Elles peuvent débuter très jeunes et j’aurais adoré avoir cette opportunité-là. Ouvrir la pratique du sport aux femmes en Arabie saoudite, cela a été un changement énorme et génial », se félicite-t-elle.

« Et c’est pareil dans les autres sports, poursuit-elle. Le nombre de fédérations sportives a doublé en quelques années. Après les Jeux de Rio, j’ai commencé l’aviron. Il n’existait pas de fédération en Arabie saoudite. »

Après l’athlétisme, la jeune architecte s’est effectivement lancée dans cette nouvelle discipline, établissant le record du monde du 10 km en aviron de mer, et – tout en profitant des plages du pays comme terrain d’entraînement – garde dans un coin de la tête « le beach rowing, qui sera pour la première fois aux Jeux à Los Angeles en 2028 ». Dérivé de l’aviron de mer, le beach rowing comporte une partie de course sprint sur la plage et un slalom en aviron dans l’eau.

Des plages saoudiennes à la neige scandinave

Kariman Abuljadayel compte bien retrouver les sensations olympiques en Californie… et peut-être ailleurs. Si elle ne souhaite « pas trop en parler pour l’instant, pour ne pas que les gens lui posent trop de questions », la native de Riyad lève tout de même le voile sur un autre projet. Elle enchaîne les stages de ski de fond, en Scandinavie notamment, dans l’espoir d’être la première Saoudienne à participer à des Jeux olympiques d’hiver. Pour inspirer un peu plus encore la jeunesse du pays.

L’Arabie saoudite a compris que le sport pouvait être une belle vitrine à l’international. Le royaume a accueilli en novembre dernier un Forum Peace and Sport sur l’équité des genres et l’émancipation de la jeunesse, preuve du changement qui commence à s’opérer. Et il compte sur ses pionnières pour montrer l’exemple.

« Nous travaillons dur. Je suis dans le milieu sportif depuis plus de dix ans et je vois toutes ces opportunités pour les femmes. Cela prend du temps, mais nous sommes sur le bon chemin. De grands changements arrivent et je suis contente de vivre ces moments-là, heureuse d’être encore une athlète parce que c’est une excellente expérience », apprécie-t-elle. Kariman Abuljadayel sera de bon conseil si l’Arabie saoudite organise à l’avenir des Jeux olympiques, le « but ultime » du ministre des Sports, Abdelaziz ben Turki al-Faisal. A Paris, elle sera en tribunes pour encourager ses héritières de la délégation saoudienne.

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